« Rien ne vaut la solitude. Pour être heureux, il me manque quelqu’un à qui l’expliquer. »
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie
A nouveau dans les montagnes du Caucase ! Toujours la même joie de faire le trajet et de voir les montagnes au fur et à mesure que la route s’élève. Kazbegi, appelé aujourd’hui Stepantsminda (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué..!), est un endroit connu en Géorgie pour les treks et profiter de magnifiques paysages.
J’ai découvert les montagnes du Caucase en Svanétie, et notamment durant le trek de Mestia à Ushguli. J’ai adoré parcourir ces lieux, et je ne voulais pas quitter la Géorgie sans revoir les hauts sommets une dernière fois .
La frontière russe
Kazbegi ne se situe qu’à 3 heures de route de Tbilissi en marshrutka. Belle route de montagnes. Mais à noter les milliers et milliers de camions sur le bas-côté de la route durant au moins 80 km ! Ils sont en attente pour passer la frontière russe.
Je pensais que c’était à cause des sanctions contre la Russie suite à l’invasion en Ukraine. Mais non en fait, c’est une situation classique ! Étant donné que c’est une route de montagne assez étroite juste avant la frontière, tous les camions ne peuvent pas passer en même temps et ils doivent donc attendre en amont. Les chauffeurs viennent de loin parfois au vu des plaques d’immatriculation (Arménie, Turquie, Ouzbékistan, Kazakhstan, Azerbaïdjan, Russie…) et attendent jusqu’à 2 semaines immobilisés là !
Le village de Stepmindata…stepamadinta…bon le village quoi !
Le village de Stepantsminda s’est développé pour le tourisme, avec de nombreux hôtels et guesthouse. En soi, il n’y a pas grand chose à y faire et il n’a rien de très charmant, contrairement à Mestia ou Ushguli.
Je n’y ai d’ailleurs même pas dormi. J’ai préféré aller sur la rive en face, à 500 mètres seulement, mais dans un village plus tranquille appelé Gergeti. La guesthouse est la HQ Of Nove, tenue par Nana. Je vous recommande fortement cet endroit : les dortoirs sont propres, les lits sont biens, Nana est super sympa et de bons conseils, il y a une cuisine bien équipée à disposition… Bref, vous ne serez pas déçu ! En prime, la vue depuis la terrasse sur Stepantsminda et les montagnes est plus qu’agréable.
Quelques voyageurs anglophones à la guesthouse, avec qui je n’ai pas accroché plus que ça (ils ont par exemple adoré l’endroit la Fabrika à Tbilissi, donc j’ai vite compris qu’on n’était pas dans le même délire !).
Alexander, l’alpiniste russe
Mais j’y ai fait de belles rencontres tout de même ! Le premier soir, j’ai rencontré Alexander, un russe de Saint-Pétersbourg. Il est ici car il est guide de montagne et s’apprête à grimper le Mont Kazbek à plus de 5 000 mètres.
Comme beaucoup de russes : plutôt froid au début, mais après quelques minutes de conversation, l’attitude change complètement. Il a acheté beaucoup de khinkalis à manger et me propose de partager. Ah oui, il a 1.5 litres de vin aussi, et me demande si ça suffira pour nous deux (oui, les russes ont toujours un doute sur les quantités, on sait jamais…). Hors de question pour lui que je lui rembourse quoi que ce soit… On passe la soirée à parler. Il a parcouru l’Europe et l’Afrique avec sa moto durant plusieurs années en tout. Pour un russe, traverser l’Europe équivaut à une petite balade au vu des distances dans son pays !
Evidemment, le sujet de l’Ukraine arrive sur la table aussi. Alexander soutient la guerre et est plutôt patriotique. Il rigole à propos des sanctions, qui rendent la Russie plus forte selon lui (le rouble n’a jamais eu autant de valeurs, dû aux achats obligatoires en monnaie nationale pour le gaz russe). Pour preuve, il n’y a qu’à voir les milliers de camions qui se rendent en Russie à quelques kilomètres d’ici. Pour lui, la Russie et l’Europe sont passées à côté d’une grande histoire d’amitié et de coopération. Il y a eu plusieurs tentatives de rapprochement et d’échanges par le passé, mais toujours torpillées par les USA.
Artur, le grand gentil russe !
J’ai croisé la route d’un autre russe à l’auberge. Il ne vient pas de loin, juste de l’autre côté de la frontière (ville de Vladikavkaz). Plutôt intimidant à première vue : grand, des mains qui font la taille de ma tête, crâne rasé… Mais encore une fois, ne pas se fier aux apparences ! Rapidement, il devient souriant et super sympa. Comme tous les russes, il prépare le thé et n’oublie pas de m’en servir même si je n’ai rien demandé.
Il ne parle pas du tout anglais, et on se débrouille avec mon russe, et l’aide des téléphones. Il est entraîneur de judo en Russie à un bon niveau. Quand il parle, j’ai l’impression qu’il m’engueule et est pas content. Mais en fait, il dit des compliments : que le peu de français qu’il a rencontré sont des gens très positifs, aimables… Qu’il aimerait apprendre le français, la langue de l’aristocratie russe à l’époque.
Comme Alexander, il me donne son numéro et m’ordonne de venir le voir si un jour je voyage en Russie. D’ailleurs, pour aller dans ce pays, il faut avoir une lettre d’invitation. Alexander et Artur m’ont tous les deux dit que j’aurai juste à leur demander, et que dans les 5 minutes ils écriront quelque chose pour me permettre de venir visiter la Russie. Vraiment des gens en or ! Спасибо друг !
La vallée de Truso (22km, peu de dénivelé)
Bon, j’ai déjà écrit beaucoup de lignes dans cet article, mais pas encore détaillé ce que j’ai visité. Mais les rencontres sont toujours plus importantes dans un voyage !
Plusieurs randonnées sont au programme ! La première que j’ai souhaité faire est celle de la vallée de Truso. Pour y aller, j’ai fait appel à l’agence locale Mountain Freaks, qui propose des offres pour uniquement le transport. Pas besoin d’un guide, je veux juste une petite place dans une marshrutka pour aller au départ de la rando, à 30 minutes de route. L’agence propose deux départs (et retours) par jour. Je vous conseille fortement de prendre le premier, à 9h15.
La randonnée dans la vallée de Truso est plutôt simple : 22 km A/R sur un chemin plutôt plat. La vallée est magnifique avec beaucoup de couleurs : le bleu de la rivière se mélange au vert de la végétation et à la couleur ocre des roches… Également, beaucoup de cours d’eau avec une couleur étrange. Du fer et du soufre remonte des entrailles de la Terre. Il y a même un petit lac très profond avec plein de bulles qui remontent en surface !
Je traverse deux petits villages et un monastère dans le fond de la vallée, avec seulement quelques maisons encore habitées. Les conditions de vie sont rudimentaires par ici.
Après 2h15 de marche, j’arrive à la forteresse en ruine de Zakagori, perchée sur une petite colline. La vue sur la vallée que je viens de remonter est magnifique. En face, les montagnes marquant la frontière avec l’Ossétie du Sud, région occupée par la Russie depuis la guerre de 2008, et malheureusement inaccessible.
Sur le chemin du retour, je croise de nombreux randonneurs et même des véhicules puisque la piste est carrossable et que les géorgiens aiment bien conduire le plus loin possible ! D’où l’intérêt de commencer la journée tôt pour profiter des paysages dans le calme.
Retour à 16h au point de départ, après avoir rencontré un couple d’allemands très cool qui sont partis de chez eux en van pour rejoindre la Mongolie.
Je remonte dans le minibus, et les gouttes de pluie arrivent peu après. La météo dans la région est souvent bien en matinée et se gâte dans l’après-midi.
La vallée de Juta (17km, 1150 mètres de dénivelé)
Le lendemain, c’est reparti ! A nouveau en utilisant les services de Mountain Freaks, mais cette fois-ci pour aller au village de Juta, à 2 150 mètres d’altitude.
J’ai pourtant hésité à m’y rendre. Le temps était menaçant, j’ai mal dormi car mal au ventre… J’étais pas en super forme du coup. Mais j’ai tenté quand même et je ne regrette absolument pas.
Cette randonnée est plus exigeante que celle d’hier, avec beaucoup plus de dénivelé, mais c’est ce qui me plaît !
Une bonne petite grimpette dès le début pour atteindre un hôtel-camping, avec normalement une jolie vue sur la vallée. Bon, il faisait tout gris au début et les sommets étaient dans les nuages alors je ne peux pas vraiment confirmer ! Un peu déçu mais je m’engage tout de même sur le chemin dans la vallée, qui suit la rivière en pente douce jusqu’à un petit lac (toutes les photos ont été faites au retour, quand le ciel s’est éclairci !)
Comme dit précédemment, je n’ai pas la grande forme et ça commence à grimper plus sérieusement après ce lac. Je me dis que je vais aller un peu plus loin quand même, sans me fixer d’objectif, car j’ai le temps.
Je commence la montée, me disant que je ferai demi-tour au prochain replat. Mais à chaque fois, je me dis « allez, encore le prochain, c’est pas si loin ». C’est ainsi que je me retrouve au pied de la dernière montée, la plus costaud de toutes : celle qui monte vers le col Chaukhi à 3 300 mètres d’altitude. Mine de rien, je suis déjà à 2 900 mètres. Ça serait quand même dommage de s’arrêter là, si près des 3 000 et du col.
Un second souffle arrive et j’entame la montée, par un chemin très abrupt partant vers la gauche et rejoignant une crête.
Le paysage devient vraiment minéral. La végétation a disparu à cette altitude.
Sur la crête, je double un géorgien. Il me demande si c’est bien le bon chemin pour aller au col. Je lui réponds que sûrement, pas trop de choix de toute façon. On parle et j’apprends qu’il est guide, mais qu’il a perdu ses deux clients. Euh, tu es guide mais tu connais pas le chemin et tu as perdu tes clients ?! En voilà un drôle de personnage ! Je ne sais pas comment on obtient le titre de guide en Géorgie, mais c’est sûrement plus facile qu’à Chamonix !
Passage de deux petits névés avant le col, mais rien de dangereux ni compliqué.
J’arrive au col exténué et vidé d’énergie. Pas assez mangé sûrement (le petit-déj était très léger vu que j’avais mal au ventre). Mais j’y suis, au plus haut col de Géorgie à 3 300 mètres ! Le Mont Chaukhi est tout proche mais encore caché dans les nuages. De l’autre côté du col, plusieurs lacs.
Il y a un cairn, et comme toujours, je rajoute ma pierre à l’édifice. Par superstition et pour faire un vœu à la Pachamama (des croyances d’Amérique du Sud que j’ai gardé !).
Puis vient le temps de la redescente. Après 10 minutes, le ciel s’éclaircit d’un coup. Devinez quel était mon vœu du jour ? Merci Pachamama, toujours bienveillante avec moi !
Je peux ainsi admirer nettement le Mont Chaukhi, qui n’est pas sans rappelé les mythiques Tre Cime di Lavaredo, aux Dolomites. Très esthétique et qui donne envie d’y grimper !
De retour au petit lac, le plus dur de la descente est fait. Un petit chemin part sur l’autre rive par rapport à la montée. Je décide de le suivre puisque de toute façon, dans cette vallée encaissée, tous les chemins arriveront au même endroit en bas. Ce que je n’avais pas prévu, c’était l’absence de pont en bas de la vallée pour traverser la rivière et rejoindre le point de départ. Comme durant le trek de Mestia à Ushguli, je me déchausse et je traverse malgré le courant fort et l’eau glaciale. Mais j’ai bien galéré sans mes bâtons cette fois, et une famille qui a fait la même erreur que moi a préféré remonter bien en amont pour reprendre le bon chemin, après m’avoir observé !
Retour à 16h20 à Juta, pour prendre le minibus qui part à 30. J’ai été bon pour le chrono !
Trek au glacier Gergeti, au pied du Mont Kazbek (18 km, 1550 mètres de dénivelé)
L’une des randos à la journée les plus dures du pays sûrement ! Je l’ai gardé pour le dernier jour à Kazbegi ! Je voulais absolument faire cette randonnée sous le soleil et d’après les prévisions, il y a une belle fenêtre météo de 6h jusqu’à 11h.
Donc debout tôt et à 7h, je quitte la guesthouse pour débuter le trek. Dès le début, c’est beau… Depuis 3 jours que j’étais là, je n’avais pas vu le Mont Kazbek, toujours emmitouflé dans ses nuages. Et là, après même pas 1km, il apparaît, énorme par rapport à l’église de la Trinité juste devant.
Après une petite heure de rando, j’atteins justement cette église, dans son décor de carte postale. Le Mont Kazbek est juste devant, du haut de ses 5 047 mètres (2ème plus haut sommet du pays, et 5ème du Caucase). Ses neiges éternelles contrastent avec la couleur rouge de ses rochers. Cette couleur est due au fait que le Kazbek est avant tout un volcan endormi !
A cette heure matinale, nous ne sommes que 4 sur place à contempler cette vue magnifique, mais je ne m’éternise pas. J’ai encore du boulot ! Je vais sur la colline en face de l’église, pour avoir une belle vue sur cette dernière. L’église de la Trinité est devenue un symbole de Géorgie, du fait de son emplacement. Son intérieur par contre est assez pauvre et peu intéressant.
Ensuite, le chemin se divise en deux. Soit on grimpe direct et on marche sur la crête après. Soit on contourne la montagne et on monte raide à la fin pour atteindre le col. La première option est la mieux en cas de beau temps car la vue sur le Mont Kazbek depuis la crête est somptueuse ! Il est tôt, mais il a déjà son petit chapeau de nuages. Il est en effet connu pour attirer les nuages et y disparaître en milieu de matinée.
Puisque Dame Nature continue à être gentille, un aigle passe proche de moi peu après.
J’arrive ensuite au col de Sabertse à 2 950 mètres. Malgré le journée fatigante d’hier à Juta, j’ai des jambes incroyables aujourd’hui. J’ai grimpé 1 100 mètres de D+ en à peine 3 heures, et sans avoir l’impression de forcer. Depuis le col, on se rend bien compte pourtant qu’on a beaucoup grimpé quand on voit le village de Stepantsminda tout en bas !
Petite descente après le col pour atteindre le refuge, et le fameux glacier est en vue juste au-dessus.
Après le refuge, la montée finale. Plus aucune végétation, uniquement de la roche et des cailloux à cette altitude, avec des cours d’eau venant du glacier. L’atmosphère de haute-montagne que j’adore tant. Je n’ai aucun problème à respirer ; l’altitude n’a toujours aucun effet sur moi malgré une montée rapide !
J’arrive à la grande cascade de Gergeti, puis au glacier même peu après, à environ 3 500 mètres d’altitude. 4 heures d’efforts m’ont été nécessaires pour atteindre l’objectif de la journée.
Des alpinistes chaussent leurs campons avant de partir vers le camp de base un peu plus loin. Ça me donne envie, mais il faut environ 4-5 jours pour atteindre le sommet (le temps de l’acclimatation notamment), donc plus assez de temps pour moi ! Cependant, être ici juste à les regarder, minuscules par rapport à cet énorme glacier, me comble de joie déjà.
Il ne fait pas chaud du tout, et je redescends au refuge ensuite, où je commande un thé pour accompagner mon pique-nique.
Très longue descente ensuite évidemment…que je déteste toujours autant. Retour à la guesthouse à 15 heures, alors que le temps s’est bien couvert. J’ai eu de la chance avec la météo ici !
Au revoir Montagnes du Caucase !
Malgré la fatigue et les courbatures, je suis très heureux d’avoir réussi à faire toutes les randos que j’avais prévu à Kazbegi, et à les enchaîner en 3 jours !
Les vallées de Truso et Juta sont toutes deux splendides, et différentes en plus. Dur de conseiller l’une ou l’autre à faire..! Et que dire du glacier Gergeti et du Mont Kazbek…une merveille !
Rajouter à cela de belles rencontres et vous avez un séjour parfait à Kazbegi !
2 commentaires
Gori et Uplistsikhe, lieux d'Histoire en Géorgie - Y a qu'à rêver · 6 août 2022 à 12h46
[…] pu rester sagement à Tbilissi, à me reposer une dernière journée après les randonnées à Kazbegi. Mais autant profiter jusqu’au bout de ces 22 jours de vacances en Géorgie. De plus, […]
Découvrir Gjirokaster : château, bazaar et rando - Y a qu'à rêver · 27 avril 2023 à 14h18
[…] de l’Horloge, posée au bout de la forteresse en face des montagnes. Ça m’a rappeler l’église de Kazbegi, en Géorgie, dans le même […]